Kainos ou Naos ?

Le Nouveau testament possède deux adjectifs importants pour exprimer l’idée de ce qui est ”nouveau”. Un de ces mots est καινός, Kainos. Le second terme est naos, νέος . Kainos signifie parfois nouveau en essence, quelque chose qui n’existait pas avant, Alors que neos peut simplement signifier, relativement jeune en existence.

Les choses se compliquent quand il s’agit de parler de l’ancien et du nouveau testament. Le nouveau testament est-il vraiment nouveau dans le sens d’une substance nouvelle ou juste nouveau dans le temps, étant une continuité de l’ancien testament. Les auteurs du nouveau testament ne nous facilitent pas les choses car bien que kainos soit leur adjectif favori pour décrire la nouvelle alliance, naos est aussi utilisé pour désigner la même alliance. Par exemple dans la seule épitre aux hébreux on remarque ceci :

8:8 - "nouveau", καινός

9:15 - "nouveau", καινός

12:24 - "nouveau" νέος

Comment comprendre l’usage de ces deux adjectifs et leur relation entre eux et surtout quelles implications théologiques chacun de ces usages provoque ? Alors que dans les cercles de Revealed Truth ces mots grecs sont juste une mystérieuse badge d’originalité, le débat théologique qui les entoure ne peut être aussi ni minimisé ni simplifié dans les milieux informés théologiquement.

Comme le disait ce pasteur anglais baptiste du 19eme siècle, C-H Spurgeon:

La théologie des alliances est l’une des plus difficiles mais aussi la plus importante dans la théologie biblique. La doctrine de l’alliance est à la base de toute véritable théologie. Celui qui comprend bien la distinction entre l’alliance des œuvres et l’alliance de la grâce est un maître en théologie. Je suis persuadé que la plupart des erreurs que les hommes commettent concernant les doctrines de l’Écriture sont basées sur des erreurs fondamentales en ce qui concerne les alliances de la loi et de la grâce. -
C.H. Spurgeon, « Sermon XL, The Covenant »(1)

Voici trois positions importantes par rapport à ces deux mots grecs ainsi que les implications théologiques y relatives.

Démarcation totale entre les deux termes

Certaines personnes voient dans l'utilisation de kainos par opposition à neos une distinction basée sur ce qui est nouveau en nature et différent en substance par rapport à ce qui est jeune et récent.

Contrairement à néos, « nouveau dans le temps », kainós signifie « nouveau dans la nature » avec une implication de « meilleur ».

Simples synonymes

D’autres théologiens n’acceptent pas une distinction aussi fine entre les significations des deux termes. Pour eux néos et kainos, tous deux rendus « nouveaux » dans nos versions, sont souvent utilisés de manière interchangeable. Ils ont raison de faire remarquer que la distinction entre néos et kainos n'est pas toujours observée dans le Nouveau Testament (par exemple, les formes des deux sont utilisées pour la nouvelle alliance dans Hébreux 8:8 et 12:24),

Position médiane

Les éditeurs du New International Dictionary of New Testament Theology adoptent un point de vue modéré, qui notent qu’« au fil du temps, les différences de signification entre néos et kainos se sont estompées, au point même d'une synonymie occasionnelle. Mais le Nouveau Testament a utilisé de manière significative kainos avec son sens plus qualitatif afin d'exprimer le caractère fondamentalement nouveau de l'avènement du Christ » (« Nouveau » 669-70).

Robert Mounce et Carl Hoch le corroborent : « Alors que les mots grecs sont parfois utilisés comme synonymes…. . ., dans la plupart des cas, ils présentent une différence de nuance qui donne un aperçu de la signification théologique de certains versets » (3 : 526).

Comment s’y prendre ? D’un côté il serait insensé de nier la synonymie des deux mots (comparez, par exemple, Mt 9.17 et Mt 26.29 ; Eph 4.24 et Col 3.10 ; et Hé 9.15 et Hé 12.24). Ces faits et autres nous forcent à résister une définition rigide des deux mots. Il faudra aussi noter que l'évolution de la langue grecque de l'usage classique à l'usage du Koïnè semble avoir atténué la différence entre kainos et neos. Néanmoins, il existe une préférence marquée de la part des auteurs bibliques pour l’adjectif kainos par rapport à néos, en particulier dans les écrits théologiques. Notre humble position dans le débat est que tout en reconnaissant qu’il existe de nombreux points communs entre ces deux mots, il existe aussi une distinction entre  kainos et néos.

La discussion théologique derrière les deux adjectifs

Il existe une véritable lutte théologique derrière ces deux mots qui consiste à savoir la relation entre les alliances bibliques et surtout les rapports de continuité ou discontinuité entre le nouveau et ancien testament. L’alliance de grâce en Jésus Christ est-elle vraiment nouvelle ou juste l’ancienne alliance renouvelée ? Je vais résumer les différentes conceptions courantes dans notre contexte et j’espère le faire en termes très concis et saillants pour éviter que qui que ce soit ne s’égare au cours du chemin. Prêts ?

Il s’agit de la plus vieille approche à la théologie biblique au Burundi. Le dispensationalisme a longtemps dominé le paysage théologique dans notre pays et influencé notre compréhension du déroulement du plan du salut dans la Bible. En voici un rapide résumé :

La théologie de la dispensation explique qu’il y a deux peuples de Dieu distincts : Israël et l’Eglise. Les dispensationalistes croient que le salut a toujours été acquis par la foi (en Dieu dans l’Ancien Testament, et spécifiquement en le Fils de Dieu dans le Nouveau). Les dispensationalistes pensent que l’Eglise n’a pas remplacé Israël dans le plan de Dieu et que les promesses faites à Israël n’ont pas été transférées à l’Eglise. Ils croient que les promesses que Dieu a faites à Israël (une terre, une descendance nombreuse et la bénédiction) dans l’Ancien Testament se réaliseront en fin de compte durant le règne de 1000 ans prédit dans Apocalypse 20. Ils croient que, tout comme Dieu concentre son attention sur l’Eglise en ces temps, il portera à nouveau son attention sur Israël à l’avenir (Romains 9-11).

Se fondant sur ces bases, les dispensationalistes décomposent la Bible en sept dispensations : l’Innocence (Genèse 1:1 – 3:7), la Conscience (Genèse 3:8 – 8:22), le Gouvernement humain (Genèse 9:1 – 11:32), la Promesse (Genèse 12:1 – Exode 19:25), la Loi (Exode 20:1 – Actes 2:4), la Grâce (Actes 2:4 – Apocalypse 20:3) et le Royaume millénaire (Apocalypse 20:4 – 20:6).

Depuis une décennie, un petit cercle des disciples de Calvin se forment, influencés par la résurgence du Nouveau calvinisme aux Etats Unis. Après presque 150 ans du déclin du Calvinisme américain, on a vu renaître un intérêt tout nouveau dans les doctrines de la grâce dans la tradition réformée et puritaine. La nouvelle émergence du calvinisme est tellement forte que le Magazine très connu Time comfirma a reconnu le Nouveau Calvinisme comme étant une des 10 idées qui sont entrain de changer le monde.

Le mouvement est né grâce aux organisations comme Grace To You, du Pasteur et auteur John MacArthur, Sovereign Grace de C. J. Mahaney, DesiringGod de John Piper, le ministère de Ligonier de R.C Sproul, The Gospel Coalition de D.A Carson &Tim Keller, Together for the Gospel de Mark Dever et leurs conférences respectives, ainsi que leurs écrits. On trouve les marques du nouveau calvinisme chez les mouvements de Jeunesse comme Passion, ou chez les artistes rappeurs comme Lecrae ou Shai Linne .

Au Burundi, il n’est pas rare de rencontrer un jeune intellectuel qui écoute les sermons de Matt Chandler, les podcasts de John Piper ou possède l’application Grace to you de MacArthur. On trouve l’expression du nouveau calvinisme parmi les étudiants qui font partie de l’IFES Burundi, les églises qui ont suivi le cours des doctrines de E.E ( Évangélisation Explosive), des petites églises comme Pilgrims Chapel ou organisations para ecclésiales  comme Little Flock Ministries.

Ceux qui professent la foi reformée sont en général séduits par la théologie des alliances telle qu’exprimée dans Westminster confession et popularisée par des théologiens comme RC. Sproul et autres théologiens connectés aux séminaires de Westminster comme Charles Hodge ou Michael Horton.

La théologie fédérale affirme que Dieu établit ses relations avec les hommes dans le cadre d’alliances. La première alliance que Dieu fait, c’est celle du Jardin d’Eden, juste après la création de l’homme et de la femme. Genèse 2:15-17

La première alliance est une alliance fondée sur le principe d’obéissance, c’est pourquoi on l’appelle alliance des oeuvres. A partir du moment où l’homme désobéit, l’alliance est brisée. Il n’est à partir de ce moment-là (qu’on appelle la Chute) plus capable de satisafaire les exigences de son Créateur.

Par conséquent, toutes les alliances que Dieu va faire avec ses descendants sont des alliances fondées sur la pure grâce de Dieu, où Dieu prend l’engagement de fournir à l’homme les moyens de satisfaire les exigences de cette alliance.

On distingue 5 alliances que Dieu va faire avec les hommes à partir de la Chute : une alliance avec Noé, après le Déluge, une alliance avec Abraham, une alliance avec Moïse, dite l’alliance du Mont Sinaï, une alliance avec David, et la Nouvelle Alliance, scellée par le sang de Jésus-Christ

L’aspect le plus controversé de la théologie fédérale, c’est qu’elle voit dans toutes ces alliances une alliance unique en Jésus-Christ, différente dans la forme, mais pas sur le fond. Ainsi le Nouveau Testament n’est pas nouveau parce qu’il introduit quelque chose de fondamentalement neuf, mais parce qu’il éclaire ce qui était encore plus ou moins obscur dans l’Ancien.

Tous les reformés calvinistes ne sont pas convaincus de tous les éléments d’un tel schéma. Déjà au 17eme siècle, les baptistes rédigèrent une confession de foi un peu différente de celle de Westminster connue comme la Confession de Foi Baptiste 1689. Notons que quand nous parlons de reformés baptistes, nous ne parlons pas des missionnaires baptistes danois venus au Burundi dans les années 30, qui eux étaient de mouvance arminienne.

Bien que la majorité des réformés voient l’ancienne et la nouvelle alliance comme deux administrations d’une même alliance de grâce, il est malheureux de voir que Calvin et ses héritiers ont parfois tellement insisté sur la continuité entre ancien et nouveau testament que la nouveauté de la nouvelle alliance n'est pas suffisamment appréciée. Mais les réformés baptistes considèrent plutôt que l’alliance de grâce fut révélée progressivement sous, et distinctement de l’ancienne alliance avant d’être conclue formellement dans le sang de la nouvelle alliance. Autrement dit, la nouvelle alliance est la substance de l’alliance de grâce, promise sous l’AT et conclue dans le NT. Cette vidéo de Pascal Denault peut vous introduire aux nuances entre le fédéralisme presbytérien et la conception baptiste des alliances.

Aujourd’hui on rencontre d’autres versions de la théologie des alliances proches à la conception baptiste comme la théologie de la nouvelle alliance ou le covenantalisme progressif. Nous nous étendrons sur le sujet un autre jour. Mais pour le moment retenons que ces deux autres alternatives théologiques au fédéralisme presbytérien partagent toutes l’idée selon laquelle il existe une distinction entre la révélation de la nouvelle alliance (alliance de grâce) comme promesse et son établissement formel comme alliance dans le nouveau testament. Avec eux on sent que la nouvelle alliance est véritablement nouvelle comme le dit ici Stephen Wellum :

La nouvelle alliance est l'alliance que notre Seigneur Jésus-Christ a inaugurée par sa vie, sa mort, sa résurrection et son exaltation glorieuse à la droite de Dieu. Elle doit être considérée comme l’alliance culminante dans le sens où toutes les alliances précédentes y ont conduit et l’ont anticipée, de diverses manières. Comme les autres alliances, elle fait partie du plan unique du Dieu Trinitaire visant à sauver un peuple pour lui-même, mais, comparée aux alliances précédentes, c'est l'alliance qui a maintenant réalisé tout ce que Dieu a promis et tout ce que Dieu a promis. que l'Ancien Testament avait anticipé et désiré, depuis la promesse initiale de Genèse 3 : 15. 

L’ Antinominisme ambiant

Aujourd’hui la version dominante n’est ni le dispensationalisme ni le fédéralisme presbytérien ou baptiste. Des églises comme GGC, Truth Revealed, Spirit Garden, et autres qui se targuent d’avoir mieux compris la grâce n’appartiennent à aucun de ces systèmes de pensée. Elles sont la pire version de tout ce que on n’ait jamais connu dans l’histoire de la théologie biblique. Leur théologie est antinomiste et leur Évangile est une hérésie de Hyper grace. Leurs disciples véhiculent leur théologie à partir des groupes comme VT, MTC, I’pendo dont il faut se méfier. Ceux qui adhèrent à cette théologie sous estiment l’aspect de la sainteté pratique au nom d’une théologie de la grâce libératrice…

En un rapide sketch, j’aimerais résumer en quoi consiste cette hérésie. Le terme antinomisme est dérivé du grec anti, qui signifie « contre », et nomos, qui signifie « loi » : il signifie donc « contre la loi ». En théologie, l’antinomisme est la croyance que Dieu n’exige des chrétiens l’obéissance à aucune loi morale.

En mourant sur la croix, Jésus-Christ a accompli la Loi de l’Ancien Testament, oui (Romains 10.4, Galates 3.23-25, Éphésiens 2.15). La fausse conclusion est que les chrétiens n’ont plus aucun précepte moral à respecter. L’antinomisme n’est pas biblique parce qu’il détourne le sens de la grâce de Dieu. L’antinomisme se trompe également en niant l’existence d’une loi morale à laquelle Dieu nous demande d’obéir.

L’antinomisme est contraire à tout ce qu’enseigne la Bible. Dieu nous demande de vivre une vie morale, intègre et pleine d’amour. Jésus-Christ nous a libérés du fardeau de la Loi de l’Ancien Testament, mais cette libération, loin d’être un blanc-seing pour continuer à pécher, est une alliance de grâce. Nous devons lutter pour vaincre le péché et cultiver la justice en dépendant du Saint-Esprit pour nous guider. Parce que nous avons été gratuitement libérés des exigences de la Loi de l’Ancien Testament, nous devons vivre une vie d’obéissance à la Loi de Christ. 1 Jean 2.3-6 déclare : « Si nous gardons les commandements de Christ, nous savons par là que nous l’avons connu. Celui qui prétend l’avoir connu alors qu’il ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. Mais l’amour de Dieu est vraiment parfait en celui qui garde sa parole : c’est à cela que nous reconnaissons que nous sommes en lui. Celui qui affirme demeurer en Christ doit aussi vivre comme il a lui-même vécu. »

Les reformés et l’usage de la loi morale

Historiquement, les protestants ont souvent fait des distinctions entre trois types de lois de l’Ancien Testament.

Les lois morales sont ces principes éthiques fondamentaux qui sont éternellement applicables, quelle que soit l’époque ou l’alliance. Les lois civiles concernent les structures politiques et sociales d’Israël et fournissent des applications spécifiques de la loi morale dans le contexte israélien. Les lois cérémonielles sont ces exigences symboliques liées aux rituels religieux et au culte d’Israël qui trouvent leur fin typologique dans le Christ.

De nombreux théologiens de l’Alliance croient que les « lois morales » seules (le plus clairement illustrées dans les Dix Commandements) restent juridiquement contraignantes pour les chrétiens d’aujourd’hui, alors que les lois « civiles » et « cérémoniales » sont limitées dans le temps et ne sont plus applicables.

Les baptistes reconnaissent des éléments de continuité et de discontinuité entre les deux testaments. Sous l’angle de la continuité, concernant la Loi divine, que la Loi morale transcende les deux alliances puisqu’elle reflète le caractère saint et inchangeable de Dieu et qu’elle est la norme universelle et permanente qui régit tout homme (Mt 5.18 ; Rm 2.14-15 ; 1 Pi 1.15-16). Il n’y a qu’une Loi morale qui est la Loi du Père et du Fils qui ne sont qu’Un (Jn 15.10). Cette Loi morale cependant n’accomplit pas la même fonction dans les deux alliances bien qu’elle soit la même Loi. Sous l’ancienne alliance elle avait des visées pédagogiques et typologiques pour conduire au Christ en étant un ministère de mort et de condamnation (2 Co 3.7-11 ; Ga 3.10-25). Sous la nouvelle alliance, une fois accomplie activement et passivement par le Médiateur (Mt 5.17 ; Rm 5.18-19, 7.4, 8.3-4 ; Ga 3.13), la Loi sert de règle de conduite pour diriger la vie des enfants du royaume (Mt 5.19-20, 7.12 ; Rm 13.8-10 ; 1 Jn 2.3-4, 5.2-3).

Les baptistes croient aussi que d’autres lois comme des lois cérémoniales n’avaient pas un caractère permanent et qu’elles expirèrent avec l’ancienne alliance tout en conservant une équité générale pour l’Église (1 Co 7.19, 9.8-10 ; Col 2.16-17 ; Hé 8.13)

Kainos, un cheval de Troie

Bien qu’il puisse y avoir des nuances au sein du cercle reformé quant à l’usage de la loi dans le Nouveau testament selon que l’on est baptiste, progressif ou adhère à la TNA, aucune de ces théologies ne débouche à l’antinomisme dont la plupart des églises du Burundi sont coupables. Je pointe du doigt spécifiquement les églises de la nouvelle vague des églises de Hyper grace mélangé au faux évangile de la prospérité matérielle, santé physique et théologie des dieux, tout cela au nom de l’illumination des bénédictions que leur confère la grâce en Jésus Christ.

Dans ces cercles, les mots comme Kainos ou Ekisa ne sont que des mots accrocheurs pour vous attirer dans un piège de l’hérésie de hyper grace dont voici encore quelques caracteristiques majeures:

Des auteurs et célébrités internationales qui évoquent souvent le concept de l’alliance pour transmettre des idées hérétiques de Hyper Grace incluent notamment Joseph Prince, Steve McVey, Andrew Farley. Bien que leur éloquence puisse vous impressionner, la substance est vide. Tenez-vous toujours à l’écart de tels enseignants.

(1), The Sermons of Rev. C.H. Spurgeon of London, 9th Series, New York, Robert Carter & Brothers, 1883, p. 172.