« Jones peut pardonner un délit à son enfant ou le punir. Mais Jones ne peut pas pardonner à l’enfant en exigeant de lui réparation au moyen d’une punition. Cela n’a aucun sens… Vous ne pouvez pas embrasser quelqu’un en le repoussant en même temps, et vous ne pouvez pas pardonner à quelqu’un tout en exigeant de lui une réparation sous forme de punition.
Oliver D. Crisp, “Approaching the atonement “

Quand vous pardonnez à quelqu’un, qu’est-ce que cela signifie réellement? Au-delà du niveau interpersonnel (auquel nous reviendrons bientôt), que veulent dire les chrétiens lorsqu'ils prétendent que le Christ est mort pour payer nos dettes/péchés? Cette ligne de pensée ne s’oppose-t-elle pas à l’analogie ci-dessus de Crisp?

L’idée chrétienne du pardon n’est-elle pas un peu étrange? Si Dieu a vraiment pardonné nos dettes, pourquoi quelqu’un devrait-il les payer en mourant « à notre place » – et c’est ça ce qui est étrange! S’il y a un quelconque pardon dans le Bon Dieu, selon cette idée, alors il n’est vraiment pas nécessaire que quiconque vienne mourir à notre place. Ce serait redondant. Soit Dieu est si impitoyable qu’il a besoin d’être apaisé par la mort d’un homme innocent (et qui voudrait adorer un tel Dieu?), soit Dieu pardonne réellement et il n’y a pas besoin d’un sauveur pour expier nos péchés. Mais les deux ne peuvent pas être vrais en même temps.

Les implications pourraient être difficiles à vivre si une telle incohérence en Dieu devait s’avérer vraie: la pensée que Dieu est si cruel et vengeur qu’il exige la mort de quelqu’un; la pensée qu'il est à ce point incapable de pardon implique que non seulement il n'est pas bon, mais cela montre également son hypocrisie lorsqu'il nous ordonne de pardonner à nos ennemis et lorsqu'il nous demande de rechercher quotidiennement Son pardon, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Eh bien, commençons par travailler avec l’exemple d’Oliver Crisp ci-dessus et disséquons-le un peu. Nous avons un enfant qui a « péché » et dont le délit doit être soit pardonné, soit puni. Nous ne pouvons pas pardonner et en même temps punir, mais nous ne pouvons pas non plus pardonner en punissant. Rien de tout cela n’aurait de sens.

Il faudrait cependant en savoir un peu plus sur cet incident, n’est-ce pas ? Quel est ce délit ? N'a-t-il pas fait son lit le matin? Ou a-t-il cassé la fenêtre de sa chambre? Si nous avons une vitre cassée, que nous la punissions ou la pardonnions, le coût de son remplacement ne disparaîtra pas tout simplement. Et en tant que parent, Jones doit supporter cette dépense. Ainsi, dans un sens, Jones peut « pardonner » et « payer » en même temps. Les deux ne s’excluent donc pas (toujours) mutuellement.

Si vous y réfléchissez bien, l’exemple de Crisp décrit si bien l’Évangile. Celui qui est puni n’est pas celui qui a commis le péché. C'est quelqu'un d'autre qui paie. Quelqu’un d’autre, en un sens, « souffre ». Et si le pécheur (l’enfant) obtient le pardon, cela n’implique pas pour autant que la punition (ou le paiement) ait disparu. C'est exactement ce qu'affirme (en termes très simples) l'Évangile: nous sommes pécheurs, nous avons péché contre Dieu, Dieu lui-même pardonne, Dieu lui-même dans son Fils souffre et paie.

Je pense que je vois maintenant ce que moi et beaucoup d’autres comme moi ne considérons pas souvent lorsque le pardon a lieu. Les dynamiques qui entrent en jeu sont vraiment intéressantes et puissantes; les ignorer nous amène à l’énigme initiale.

…vous pouvez dire : « Je vous pardonne », mais le prix du tort ne s’évapore pas dans l’air… Le pardon signifie que le coût du tort passe de l’auteur à vous, et vous le supportez. Le pardon est donc une forme de souffrance volontaire…
Tim Keller, Forgiveness

Une « souffrance volontaire » en effet ! Cela aide vraiment à expliquer comment Dieu a accordé un pardon abondant à travers la souffrance.

Pour en revenir aux relations interpersonnelles, s’il vous est déjà arrivé de devoir pardonner quelque chose de grave, vous le comprenez très bien. Il y a un fardeau à porter, et il est parfois lourd; les tentatives visant à supprimer ou à cacher ce fait ne font que banaliser ce que pardonner signifie vraiment.

Nous avons travaillé avec un exemple dans lequel un coût monétaire est implicite. Cependant, l’offense peut avoir un aspect non quantifiable ; cela peut prendre la forme d’une détresse émotionnelle, d’un traumatisme psychologique irréversible ou, en bref, de dommages auxquels il est impossible de remédier par des moyens financiers. Comment le pardon fonctionnerait-il dans ce contexte? Pensez à ceux qui ont besoin de pardonner à un meurtrier! Puisque le mal commis est par nature irrémédiable, alors le pardon signifie, dans ce cas, laisser partir le meurtrier, car la situation est irréparable: le pardon laissera tout aller.

Cependant, ce genre de tort ne « s’évapore jamais dans l’air ». Pardonner à quelqu’un qui a tué un être cher implique de prendre un poids plus lourd. Le prix du mal est en fait plus élevé ; les dommages monétaires ne sont rien en comparaison. Absorber une telle perte est plus exigeant car « le payer » prend plus qu’un instant. Dans un sens, vous devez être prêt à « brûler » en vous tous les cris de vengeance et de justice. Vous devez être prêt à accepter d’être celui qui est « puni » plutôt que l’agresseur. Et ça tu dois le faire pendant une longue période.

C’est ce qui m’a convaincu que la plupart d’entre nous ne réalisent pas vraiment ce qu’implique le pardon. En 2017, Danielle Berrin demandait dans le New York Times « Faut-il pardonner aux hommes qui nous ont agressés ? Quelqu'un, qui, je pense, a compris la difficulté de pardonner, a commenté l'article :

« Le pardon… ne guérit [ni] le corps ni l’esprit… Que les criminels demandent pardon à ses dieux, s’il y en a… Au lieu de parler de victimes qui doivent pardonner, nous devrions parler de tatouer les mots « Violeur » ou « Violeur sexuel ». Prédateur » sur le front des criminels – cela contribuerait en fait à rendre les femmes et les enfants plus sûrs.
Cité par Keller Tim, dans Forgiveness

« Mais nos péchés ne sont que des délits », objecterez-vous, « il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire ». Un petit mensonge par exemple (comme nous en avons parlé précédemment) est vraiment insignifiant; dans le grand schéma des choses. C'est un peu comme ne pas faire son lit. La plupart d’entre nous ne sont ni des meurtriers ni des prédateurs sexuels. Nous ne commettons rien que Dieu ne puisse ignorer… S’il n’est pas mesquin!

Néanmoins, le Fils de Dieu est mort. Et la mort est un coût trop élevé pour être payé uniquement pour des « délits » ! Nous savons tous que les enfants ne savent parfois pas quand ils font des erreurs, grandes ou petites. C’est la raison pour laquelle ils sont encore des enfants: ils ne savent pas mieux. Ils ne comprennent pas. Se pourrait-il alors que nous soyons comme des enfants qui n’ont aucune idée de la gravité de nos « péchés »? Se pourrait-il que nos fautes soient plus importantes que nous aimerions l’admettre? Peut-être sous-estimons-nous ce qui se passe lorsque nous commettons un « péché » apparemment innocent et insignifiant.

La question que nous avons abordée ne fait qu’effleurer le sujet; en fait, nous n’avons même pas encore commencé à sonder les profondeurs du pardon de Dieu. Mais ce que nous avons pu établir aujourd’hui, c’est que Dieu lui-même porte cette lourde charge; personne d'autre. Même si le récit chrétien des choses a (évidemment) beaucoup plus à dire à ce sujet, je terminerai en notant que la bonne nouvelle chrétienne – l’Évangile – non seulement donne un sens à ce monde, mais est également belle dans son ensemble. Et si c’est vrai (et je crois que c’est le cas), la réponse appropriée devrait être la gratitude et l’adoration envers le Dieu qui est animé par l’amour et la miséricorde lorsqu’il pardonne au point de payer lui-même ce prix ultime pour nous.

Vous pouvez trouver l'article original en anglais ici, publié en premier sur le blog Remesha