Calvin, le théologien du Saint Esprit

Un fait qui pourrait surprendre certains est que Calvin est souvent surnommé le théologien du Saint Esprit. Alors que Martin Luther laisse parfois son enthousiasme pour la doctrine de la justification par la foi voiler d’autres emphases, Calvin est reconnu pour avoir écrit sur le Saint Esprit plus que n’importe quel autre théologien magistériel. Mais les deux croyaient en l’incapacité totale de l’homme et en la souveraineté de Dieu dans le salut. Cela ne pouvait qu’avoir une conséquence naturelle sur leur compréhension du rôle prépondérant du saint Esprit dans le salut.

Les deux croyaient aussi en l’unité indissociable entre la Parole et l’Esprit même si Calvin était plus éloquent à ce sujet. Il croyait que les paroles des Écritures étaient la parole de Dieu et qu’elles deviennent la parole de Dieu dans nos cœurs de manière réelle grâce au ministère du Saint-Esprit. La parole et l'Esprit allaient de pair. Calvin a aussi parlé du témoignage interne du Saint-Esprit. Et c'est par le témoignage intérieur du Saint-Esprit que notre assurance du salut est gagnée.

Calvin a aussi abordé mieux que quiconque au 16eme siècle la doctrine de l'union avec le Christ. Calvin a enseigné que, de même que l’Esprit lie le Père et le Fils, de même il est dit que l’Esprit lie nous lie au Christ. Un thème qui sera négligé par certains de ses disciples mais ranimé par certains puritains.

Calvin distinguait les dons généraux du Saint Esprit des dons extraordinaires. Les dons généraux sont des dons du salut et les dons extraordinaires sont liés au ministère.  Calvin a toujours insisté sur la primauté des dons du salut comme la foi qui sauve, la repentance, la régénération, la sanctification, illumination de la connaissance de la parole de Dieu.

Jean Calvin et les dons surnaturels

Le cessationisme des dons surnaturels a été historiquement attaché à la tradition reformée. Vu l’influence colossale que Jean Calvin exerça sur le développement de la théologie reformée il est possible que sa doctrine sur le Saint Esprit ait eu tant de répercussions ultérieures sur le mouvement. Mais avant tout, définissons les termes pour ceux qui ne sont habitués au débat.

Avant d’aller plus loin j’aimerais donner deux précisions

Voici comment monergism définit le cessationisme :

Dans la théologie chrétienne, le cessationnisme est l'opinion selon laquelle les dons charismatiques du Saint-Esprit, tels que le parler en langues, la prophétie et la guérison, ont cessé d'être pratiqués au début de l'histoire de l'Église. Les cessationnistes croient généralement que les dons miraculeux ont été accordés uniquement pour la fondation de l'Église, entre la venue du Saint-Esprit à la Pentecôte, l’an 33 après JC (voir Actes 2) et l'accomplissement des desseins de Dieu dans l'histoire, généralement identifiés soit comme l'achèvement du dernier livre du Nouveau Testament, soit comme la mort du dernier apôtre.

Le continuationisme peut être résumé par cette affirmation de Desiring God, 

« Nous croyons que la Bible enseigne que tous les dons de l’Esprit (y compris la prophétie, les langues et l’interprétation) perdurent aujourd’hui et continueront jusqu’au retour de Jésus. »

Les continuationistes croient donc que tous les dons spirituels, y compris les guérisons, les langues et les miracles, la prophétie sont toujours en vigueur aujourd'hui, tout comme ils l'étaient à l'époque de l'église primitive.

Jean Calvin entre les deux camps

Les théologiens cessationistes se vantent habituellement d’être les disciples fidèles de Jean Calvin. Il existe cependant deux inquiétudes:

D’un autre coté, nous témoignons d’une résurgence au sein des charismatiques par rapport à la redécouverte de Jean Calvin et ce qu’il croyait du Saint Esprit. Des efforts de le rendre moins cessationiste ou le rendre même charismatique sont déployés. On le voit par exemple chez Ben Witherington , le professeur du Nouveau Testament au seminaire theologique d’Asbury, qui semble croire que Calvin aurait parlé en langues vers la fin de sa vie et qu’il se serait confié à son disciple Beza en termes charismatiques.

Compte tenu de l’impact que Calvin a eu sur le développement du christianisme évangélique, il est tentant de se servir de lui pour légitimer sa position théologique. Essayons d’approcher Calvin aussi objectivement que nous pouvons sans nous laisser influencer par nos préconçues.

Le cessationisme ouvert de Jean Calvin

Calvin a sans doute émis certains propos directs sur la cessation des dons surnaturels.

Commentant sur Ps. 45:8, il dit

«Désigner le Saint-Esprit et ses dons par l'huile est banal et courant. Mais le don de guérison a disparu avec les autres pouvoirs miraculeux qu'il a plu au Seigneur de donner pour un temps, afin qu'il rende à jamais merveilleuse la nouvelle prédication de l'Évangile. Par conséquent, même si nous admettions que l’onction était un sacrement de ces pouvoirs qui étaient alors administrés par les mains des apôtres, cela ne nous concerne pas, à qui de tels pouvoirs n’ont pas été confiés.»

Commentant sur Actes 2:38: il dit  

«C'est pourquoi il leur promet le don de l'Esprit, dont ils ont vu un modèle dans la diversité des langues. Cela ne nous concerne donc pas proprement. Car parce que Christ avait l'intention de marquer le début de son royaume par ces miracles, ils n'ont duré qu'un temps...Car bien que nous ne recevons pas le Saint Esprit, afin que nous puissions parler en langues, afin que nous soyons prophètes, afin que nous guérissions les malades, afin que nous puissions faire des miracles ; Pourtant, le Saint Esprit nous est donné pour un meilleur usage, afin que nous puissions croire de tout notre cœur et recevoir la justice, afin que nos langues soient formées à une vraie confession (Romains 10 : 10), afin que nous puissions passer de la mort à la vie (Jean 5 : 24) afin que nous, qui sommes pauvres et vides, puissions devenir riches, afin que nous puissions résister vaillamment à Satan et au monde.»

A plusieurs reprises, il affirme que les dons extraordinaires ont été donnés pour la phase initiale de l’Eglise

Commentant sur Actes 8 :16 Calvin dit qu'

“au début de l'Évangile Dieu voulait que certains soient dotés des dons spéciaux de l'Esprit. Pendant un temps, il voulut montrer à son église quelque chose comme la présence visible de son Esprit ; même les papistes, qui veulent perpétuer ce qui était un signe temporaire, sont obligés de reconnaître que l'Église n'a reçu ces dons que pour un temps. Le miracle des dons visibles était typique de l'inauguration du royaume de Christ.”

Le cessatonisme ambigu de Calvin

Calvin a aussi laissé planer certaines ambiguïtés dans certaines de ses phrases qui ouvrent une porte pour la continuation des dons extraordinaires.

En commentant sur Ephésiens 4:11, Calvin considère les évangélistes et les pasteurs comme faisant partie de «l’office ordinaire dans l’Église». En revanche, les apôtres et les prophètes occupent des fonctions extraordinaires. Calvin explique plus loin :

«Le Seigneur a suscité les trois premiers [apôtres, prophètes et évangélistes] au début de son Royaume, et de temps en temps il les suscite selon les besoins des temps.»

Dans certains cas, il a insinué que la Reforme du 16eme siècle était une autre période de remettre l’Eglise sur les fondements et qu’Il pourrait faire des choses extraordinaires. Par exemple, il percevait Martin Luther comme un apôtre.

“Cependant, je ne nie pas que le Seigneur ait parfois suscité plus tard des apôtres, ou du moins des évangélistes à leur place, comme cela s'est produit de nos jours.”

Il arrive de penser que Calvin n’était pas toujours consistent sur sa théologie des dons spirituels. Parfois il était clair sur la raison de la cessation des dons extraordinaires.

Le dessein de Dieu, avec les dons visibles de l’Esprit, était d’établir pour toujours l’autorité de l’Évangile et d’ajouter de l’éclat au royaume du Christ, et ainsi de témoigner également que l’Esprit sera toujours le gouverneur et le directeur des croyants. Le don des langues était destiné à l'ornement et à l'honneur de l'Évangile, et Dieu l'a donné dans le but d'éclairer la grandeur du ciel. La gloire suprême de l'Évangile était visible dans les dons spirituels. Une fois ce but d'établir l'Évangile et que le royaume dans la phase initiale de l'Église avait été réalisé, les dons ont cessé d'exister.(1)

D'autre part il reconnaissait que la décadence spirituelle des dirigeants de l’Eglise est la raison pour laquelle les charismes extraordinaires ont été retirés comme dans son commentaire sur Actes 10 : 4, Calvin attribue à notre propre ingratitude le fait que nous ne constatons pas aujourd’hui une plus grande abondance des dons de l’Esprit, mais plutôt un dépérissement de la plupart d’entre eux. Ambition, ostentation et étalage ont corrompu le don des langues—en référence au cas des Corinthiens—de sorte qu'un peu plus tard Dieu lui a enlevé ce qu'il avait donné.

Il laisse donc planer des ambiguïtés. D’une part, il ferme la porte à toute attente de recevoir les dons visibles et extraordinaires de l’Esprit à son époque, parce que ceux-ci avaient servi son dessein divin d’établir le royaume et l’Évangile au cours de ces premières étapes de l’Église.

Mais d'autre part, il suscite l'attente en exhortant ses lecteurs à éliminer les raisons—ingratitude, ambition et paresse—du déclin et de la cessation des dons, impliquant ainsi une éventuelle restauration. Dans son commentaire sur Actes 5 : 32, il dit à ses lecteurs que, si nous voulons être continuellement enrichis de nouveaux dons de l'Esprit, nous devons dévoiler le sein de la foi à Dieu.

En 2017 alors que le monde Evangélique célébrait les 500 ans de la reforme protestante, il s’est tenu une conférence définit le cessationisme à Regent university. Plus tard une collections d’essais seront organisés en un livre connu comme The Holy Spirit and Reformation Legacy , un livre qui souligne la pertinence de la théologie de la réforme pour le mouvement pentecôtiste charismatique contemporain.

Dans ce livre, Le professeur Daniel Gilbert s’est efforcé de montrer que Calvin comprenait la prophétie non pas comme synonyme de prédication, ou enseignement biblique. Jean Calvin, (commentaire sur 1Corinthiens p.263-288) semble comprendre la prophétie de quatre façons : prophète de l’ancien testament, prophète du nouveau testament qui prédit le futur, révéler les secrets du cœur, le prophète du nouveau testament qui apporte de l’instruction pour l’édification du corps de christ et le faux prophète. (2)

Calvin était un homme qui choisissait bien ses mots. Il affirmait que le genre de prophète qui peut prédire l’avenir ou révéler des secrets n’existait plus ou alors était moins commun. Il laissait une petite porte pour la continuation de ce don. (Institutes IV.III.4,1057)

Calvin, l‘inspiration pour les Charismatiques…

Des expressions ont été inventées pour qualifier cette position ambiguë du célèbre réformateur.  Certains l’ont qualifié du cessationiste centrifuge, celui qui déplace du centre. De toutes les façons il est difficile de le caser complètement dans nos polarisations contemporaines. On ne cessera de découvrir de nouvelles choses sur Calvin si on se penche sur ses écrits sans préjugés. Calvin parait être l’homme de la via media, qui essaie de se frayer un chemin – tant sur le plan exégétique que doctrinal – entre les extrêmes.

Mais comme Olson Roger le dit ici, même si Calvin n’était pas charismatique, il en était plus proche que certains réformés ne l’admettent volontiers. Au moins, on ne lit pas grand-chose sur le rôle crucial du Saint-Esprit dans leurs propres interprétations de la théologie de Calvin.

Un charismatique peut trouver de l’encouragement dans les propos de Jean Calvin. Dans son commentaire des Actes, il utilise deux images poignantes pour illustrer comment le Saint-Esprit est la source de tous les dons. La première image est celle d'une source, une source unique qui ne peut jamais tarir. De cette source une variété infinie de dons vers les croyants.

La deuxième image est celle d'une clé. L’Esprit est la clé qui nous ouvre la porte pour entrer dans tous les trésors des bénédictions spirituelles. Les deux images véhiculent l’élément d’une abondance de dons. Des mots qui donnent de l’élan à notre poursuite de ce que Dieu réserve pour ses enfants.

(1) J’ai été énormément aidé par cet essai que je recommande: Van Alten, H.H., 2017, ‘John Calvin on the gifts of the Holy Spirit in his commentary on Acts’, Koers – Bulletin for Christian Scholarship 82(2), available here.

(2) Cet essai du professeur Daniel Gilbert est riche d’argumentation sur la façon ambiguë d’appréhender le don de prophétie chez Calvin.