Beaucoup sont ceux qui couvrent leurs vices d’un vernis d’élégance intellectuelle. Peu importe le vernis que l’on met sur la couche, qu’il soit un enseignement ésotérique, une idéologie théologique sophistiquée ou une théorie scientifique complexe, le patriarcat reste une abomination qui laisse tant de victimes sur son sillage. On trouve ces victimes autant dans les sectes les plus superstitieuses que dans les cathédrales les plus prestigieuses.

Le blog se joint au monde entier pour observer les 16 jours d’activisme pour un avenir sans violences basées sur le genre. L’article d’aujourd’hui revient sur le patriarcat et les dégâts que ça entraine dans un des cercles les plus conservateurs du monde évangélique.

Le patriarcat au sein des Églises Évangéliques.

On aimerait pouvoir dire que l’Église est toujours le lieu le plus sûr pour tout le monde mais la réalité me contredirait. Nous y trouvons des victimes consentantes, conditionnées à accepter comme étant biblique l’idéologie patriarcale ambiante. Puis on y trouve des victimes frustrées, qui souffrent dans le silence et ont peur d’élever la voix. Et enfin on trouve d’autres victimes révoltantes qui en payent un grand prix. La plupart sont bannies et perdent l’appartenance religieuse et sociale pour le seul péché d’avoir osé crier. Submergées par la douleur, la plupart finissent dans une terrible dépression. Et oui, ça se passe dans nos églises.

Le mouvement de Lausanne est l’une des organisations des Évangéliques les plus influentes, initiée par Billy Graham et John Stott. Ils ne sont plus mais qui ils nous ont légué une culture de respect envers les femmes.  Lausanne nous éclaire sur les causes du patriarcat dans les Eglises Evangéliques.

Premièrement, par un système d’hiérarchies dans lequel les hommes et les femmes ne peuvent pas exercer des rôles égaux. Les hommes sont placés à des postes d’autorité et de décision, tandis que les femmes qui souhaitent exercer ces mêmes rôles ne sont pas autorisées à le faire. Par exemple, en ne permettant pas aux femmes de prêcher ou de diriger, nous laissons entendre une certaine « supériorité » de l’homme qui occupe ensuite la même position à la maison. À l’opposé, nous pouvons trouver des rôles stéréotypés de femme au sein de l’Église tels que monitrices d’école du dimanche, coordinatrices de groupes de prière ou cuisinières.

Deuxièmement, la violence sexiste peut aussi être justifiée par l’application de textes bibliques sans tenir compte du cadre culturel dans lequel ils ont été écrits et de la manière dont cela affecte leur application actuelle. Par exemple, l’affirmation selon laquelle l’homme est « le chef de la femme » peut servir, dans une culture patriarcale, à légitimer la supériorité de l’homme sur la femme. Ce n’était certainement pas l’intention du texte original. Une interprétation littérale du texte biblique n’est pas toujours fidèle au message qu’il porte, et nous courons le risque d’établir des dogmes qui portent atteinte à la dignité humaine

Si tous les complémentariens étaient comme Thabiti Anyabwile

Evitons les généralisations. Tous les égalitariens  évangéliques ne sont pas nécessairement des féministes, et tous les complémentariens n’adhèrent pas nécessairement au patriarcat. Alors je sais que pour certains, patriarcat et complémentarisme sont juste deux mots pour designer la même idéologie. Et dans un sens ils le sont.

Mais puisque le mot patriarcat est souvent associé à des formes de domination et exploitation malsaines de l’homme, certains préfèrent éviter ce mot. On peut aussi dire que dans le Patriarcat, les hommes et les femmes n’ont pas seulement des rôles différents mais les femmes n’ont pas autant de valeur que les hommes et sont inférieures à TOUS les hommes. Par contre dans le Complémentarisme, les hommes et les femmes ont des rôles différents sans doute. Mais les femmes ont autant de valeur que les hommes et ne sont pas du tout inférieures, mais se soumettent à leurs propres maris SOUS DIEU comme l'Église se soumet au Christ. Beaucoup seraient d’accord d’affirmer que dans la pratique la ligne qui sépare un complémentarisme sain et un patriarcat malsain est très fine. On y reviendra peut-être un autre jour.

S’il y a une personne qui a souffert du patriarcat dans son ministère, il s’agit bien de Beth Moore. Elle est une prédicatrice américaine bien connue comme une auteure, évangéliste et enseignante de la Bible. Elle est la fondatrice de Living Proof Ministries. Avec d’autres femmes comme Priscilla Shirer et Kay Arthur, elles sont reconnues parmi les plus influences femmes prédicatrices chrétiennes.

Beth Moore qui a grandi dans l’Église Baptiste du Sud en Arkansas, a écrit une ligne poignante ici pour parler des traitements injustes qu’elle a subis et continue de subir. Elle a écrit et parlé également pour ses sœurs.

En tant que femme leader dans le monde évangélique conservateur, j’ai appris très tôt à faire preuve d’une déférence constante et prononcée – et pas seulement d’un respect approprié que j’étais heureux de montrer – envers les dirigeants masculins et, lorsqu’ils sont placés dans des situations pour servir à leurs côtés, à le faire en m’excusant…Je portais des chaussures plates au lieu de talons quand je savais que je servirais aux côtés d’un homme de plus petite taille pour ne pas être plus grande que lui...

J'ai participé à des réunions d'équipe où j'étais soit ignoré, soit moqué…Je peux accepter des blagues et faire des blagues. Je sais que je m'amuse bien quand je m'amuse et je sais aussi quand je suis renvoyé et ridiculisé. J'étais l'éléphant dans la pièce avec une jupe. Des étudiants masculins du séminaire m'ont critiqué et j'ai tenu ma langue lorsque je voulais dire : « Frère, je me levais avant l'aube pour prier et étudier les Écritures alors que tu étais encore en train de faire des tractions.

Je ne sais pas si la lettre a atteint son objectif mais au moins ca a fait réagir un des leaders clés dans une organisation complémentariste, Gospel Coalition. Sa réponse est un grand modèle d’humilité. Il s’agit de Thabiti Anyabwile. Il est membre du Conseil de Gospel Coalition, auteur de plusieurs livres y compris Reviving The Black Church. Notre blog a déjà écrit sur lui ici.

Dans la lettre de réplique postée sur Gospel Coalition, Anyabwile reconnaît sa culpabilité en disant:

Je sais que votre lettre ouverte ne concerne pas que vous. Il s’agit de vous et des dizaines de femmes qui ont souffert de la même manière avec moins de notoriété et de ressources que vous. Et même si je sais que votre message ne prétend pas décrire l’expérience universelle des femmes, je sais aussi que mes attitudes et mes actions (ou leur absence) ont affecté plus de femmes que je ne le pense.

Mais Thabiti fit plus que confesser. Il affirma Beth Moore, parla avec respect de son ministère:

J’ai été étonné de voir à quel point le Seigneur vous a utilisé et à quel point vous avez courageusement risqué de vous tenir à nos côtés et de vous joindre à la conversation. Vous avez fait tout cela sans la promesse d’un « avantage » ou d’une récompense, mais parce que, convaincu par l’Écriture, vous pensiez que c’était juste. Au cours de nos interactions en ligne, le Seigneur vous a utilisé pour guérir un bon nombre de choses dans mon cœur dont vous n’êtes même pas conscient…Pour cela, vous avez gagné mon plus profond respect, mon admiration et ma profonde gratitude. Vous avez été bien plus gentil avec moi que je ne le mérite. Votre bonté a mis des charbons sur la tête de ce pauvre pécheur.

Il termine la lettre en disant…

J’espère, avec l’aide de Dieu, grandir dans la sanctification, en particulier en ce qui concerne tout sexisme, misogynie, chauvinisme et autres qui ont utilisé l’enseignement biblique comme couverture pour leur croissance.

John Macarthur n’est pas Thabiti

Alors que cette correspondance eut lieu en Mai 2018, une année après, un des meilleurs expositeurs de Bible, John Macarthur, entouré de ses protégés, se moquait de Beth Moore publiquement. Ce qui n’a pas manqué de susciter suscité des réactions dans la blogosphère américaine.

On est en Octobre 2019, pendant Truth Matters Conference et on célèbre 50ans de ministère du grand John MacArthur qui est alors âgé de 80 ans. Ca s’est passé ainsi:

Il fait partie d'une table ronde, et le modérateur, Todd Friel, lui-même pasteur, demande que l’on joue au jeu d’association : « Je vais dire un mot, et ensuite vous devrez donner une réponse à ce seul mot qui vous vient directement en tête qui y soit associé. Deviner quel Le mot sur lequel Macarthur est invité à commenter ? Beth Moore.

La réponse de Macarthur est rapide : « Rentre chez toi ». En anglais GO HOME. Une phrase qui ne tarda pas à circuler sur la toile. Cela a été accueilli par des acclamations et des applaudissements du public, une salle remplie de pasteurs…

Puis il ajoute: “Il n’y a aucun argument en faveur d’une femme prédicatrice. Point final. Fin de la conversation." Il eut droit à de vifs applaudissements.

Phil Johnson, l'un des bras droits de Macarthur, également membre du panel, a choisi de répondre à la même question avec le mot « Narcissique ». Il a déclaré : « Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai pensé : ‘Voici à quoi cela ressemble de se prêcher soi-même plutôt que Christ.’ »

Si la scène ne vous a pas déplu, vous devriez peut-être relire la lettre de Thabiti Anyabwile.

Ce que certains d’entre nous ont du mal à saisir est que cette petite phrase: GO HOME est reconnue aux Etats-Unis comme une insulte raciste. Le président Donald Trump, connu pour ses propos sexistes, l’avait précédemment employé à l’encontre de quatre élues démocrates, s’attirant une désapprobation générale.

Il n’y a pas de fumée sans feu. Que se passe t-il dans la maison de Macarthur?

Une idéologie patriarcale engendre des attitudes misogynes et cela ne peut qu’engendrer des conséquences néfastes sur la façon de gérer les cas de counseling qui impliquent les femmes. Faisons un tour rapide pour voir ce qui se passe dans l’Église de Macarthur :

1. L’Association des conseillers bibliques certifiés a récemment retiré le pasteur Bill Shannon, qui supervise le ministère de Biblical Counseling dans l’Eglise de John Macarthur, de sa liste de conseillers approuvés et de son statut de membre de l’ACBC. L’Association a pris cette décision après avoir mené des enquêtes concernant les pratiques de counseling de Shannon and Grace Community Church. Dans le cadre de l’enquête, l’ ACBC a entendu le témoignage de plusieurs femmes qui affirmaient que le ministère de counseling dans l’Eglise de John Macarthur protégeait les agresseurs tout en nuisant à leurs victimes.

2. Dans l’Église de Macarthur il est très mal vu quand une femme décide de se séparer de ton mari à cause de ses abus insupportables. On est perçu comme un échec spirituel. En tout cas ça va à l’encontre de la rhétorique de John Street qui encourage les femmes à tout subir comme des missionnaires : Rappelons que John Street est Professeur de Biblical conselling au séminaire théologique de Macarthur.

« Cela signifierait que beaucoup de nos missionnaires qui se trouvent dans des endroits à travers le monde où ils sont menacés physiquement, nous allons devoir les ramener chez eux et les mettre dans une situation de protection parce que les maris, les femmes et les enfants sont menacés physiquement. Qu’est-ce que cela dit sur les chrétiens dans des pays comme la Chine, où l’Église est ouvertement maltraitée et physiquement blessée ?

Plutôt que de chercher finalement à prévenir le mal, le but du conseil biblique « est de chercher à glorifier Dieu afin de gagner l'agresseur à la justice »,

enseigne Street.

Un de ses versets favoris est le Psaume 119:71

Il m'est bon d'être humilié, Afin que j'apprenne tes statuts. Il m'est bon d'être humilié, Afin que j'apprenne tes statuts. Il m'est bon que j'aie été affligé, afin que j'apprenne tes statuts. Il est bon pour moi que j'aie été afflige, afin que j'apprenne tes statuts.

Mais il oublie que David lui-même a dû fuir les persécutions du roi Saül pendant des années et que les premiers chrétiens se cachaient pour échapper aux soldats romains et non par faiblesse mais par un bon sens qui est aussi un don de Dieu.

3. Dans l’Église de Macarthur, Les victimes se voient régulièrement citer des Écritures sur le pardon, la confiance, l’amour et la soumission, et on leur dit de se réconcilier et de rentrer chez elles même dans les cas où elles craignent pour leur sécurité et celle de leurs enfants. Citons cet exemple qui a été confirmé par un des anciens même de l’Église de Macarthur.

En 2002, Une femme, du nom d’Eileen Gray, aurait fait appel au conseil des anciens de l’Église dans l’espoir de trouver un soutien pour elle et ses enfants, alors mineurs, face à la violence de son mari David, enseignant la Bible et la Musique aux enfants dans la communauté entre 1994 et 2001. Au lieu de la protéger, les anciens de Grace Community Church (GCC) lui auraient alors dit de retourner dans son foyer en la menaçant de l’excommunier. Elle a alors fait le choix de quitter l’Eglise et de dénoncer les comportements de son mari aux autorités. Celui-ci a été condamné en 2005 à vingt ans de prison pour violence domestique, abus sexuels et maltraitance d’enfants.

Hohn Cho était un avocat et siégeait dans le conseil des Anciens. On lui demanda d’étudier l’affaire en tant qu’avocat. Il a tenté de convaincre les responsables de l’Église de reconsidérer la situation et de rectifier les choses, au moins en privé. Il rapporte que le pasteur John MacArthur lui a dit « d’oublier ça ». Lorsque Cho a continué à appeler les anciens à « faire justice » en faveur de cette femme, il raconte que ceux-ci lui ont demandé de revenir sur ses conclusions ou de démissionner.

La femme fut humiliée et excommuniée publiquement par Macarthur.

Bien que Cho se soit retiré sans faire de bruit, il a continué à entendre les témoignages d’autres femmes de son ancienne Église. Leur parole avait été mise en doute. Certaines avaient été écartées et implicitement ou explicitement menacées de mesures disciplinaires alors qu’elles cherchaient à se mettre à l’abri d’un conjoint abusif. Il affirme:

C’est à ce moment-là que j’ai malheureusement fini par croire, au-delà de tout doute personnel, que les fidèles de la GCC, que nous aimons toujours, pourraient bien se retrouver à jouer à la roulette russe s’ils avaient un jour besoin d’un accompagnement de l’Église, en particulier pour ce qui concerne le soutien aux femmes ou aux enfants.

Notons que Christianity Today a conduit son enquête et s’est entretenu avec au moins huit femmes de l’Église de Macarthur qui ont vécu la même situation.

On pourrait citer d’autres exemples comme celui de Wendy , une femme qui fut victime d’agressions sexuelles pendant longtemps de la part de son père , mais bien qu’ayant levé la voix n’a jamais obtenu justice auprès de John Macarthur.

4. En dernier lieu mentionnons que John Macarthur, son église et son séminaire rejettent l’approche intégrationniste, une approche qui combine les principes bibliques et la science de la psychologie. Ainsi les membres de son Eglise sont déconseillés de chercher toute aide d’un professionnel.

Pour connaître davantage en quoi cette approche consiste lisez ici et pour comprendre les différentes nuances dans les approches du counseling lisez ici

Un clin d’œil pour nous…

Je pense que depuis que je suis dans le ministère en 2005, je n’ai jamais vu autant de maladresses stupides dans le domaine du counseling pastoral que celles que j’ai rencontrées dans une Église qui se dit reformée. C’est un contraste qui peut surprendre mais on rencontre plus de formes d’oppression et de conditionnement malsain dans les milieux qui se disent intellectuels qu’ailleurs.

Je sais que Macarthur est une grande adulation pour plusieurs de ceux qui me lisent et ils trouveront dur d’avaler que leur héros est un très pauvre exemple de conseiller. Son extrémisme envers la place des femmes dans le ministère l’a déjà conduit à faire pas mal de faux pas dans son travail pastoral.

Écoutons-le quand il enseigne la vérité et sachons prendre des distances objectives quand son attitude et ses pratiques ne reflètent pas le même Dieu de grâce qu’il enseigne. Et c’est le cas pour tous nos héros. Et avec humilité admettons que si ça arrive à Macarthur, ça peut aussi nous arriver. Pendant ces 16 jours d’activisme, posons-nous la question: comment est-ce que je traite mes sœurs, ma femme, et autres femmes autour de moi?